Première mondiale: chirurgie du cerveau sous hypnose

Les Drs Ilyess Zemmoura et Eric Fournier expliquent la procédure de cette méthode qui remplace l’anesthésie générale dans les cas de « chirurgie éveillée ».

Pour quelles tumeurs cérébrales est-il nécessaire de réveiller le malade durant l’opération ?

Dr Ilyess Zemmoura. Cette technique dite de “chirurgie éveillée” concerne le plus souvent les gliomes de bas grade et parfois de haut grade. Ces tumeurs infiltrantes envahissent des zones liées à des fonctions tels le langage, la vision et la motricité qu’il faut préserver. Dans certains cas, mieux vaut retirer seulement une partie de la tumeur, et ce qui en reste sera soit suivi par IRM, soit traité par radiothérapie ou chimiothérapie.

Pour enlever une tumeur, quel est le protocole chirurgical ?

Dr I.Z. 1. Le malade est endormi sous anesthésie générale durant laquelle on lui en administre une autre, locorégionale, au niveau de la zone à opérer. Le chirurgien pratique ensuite son ouverture pour atteindre le site de la tumeur. 2. On réveille le patient. Il ne souffre pas car il n’y a pas de récepteur de la douleur dans le cerveau et il n’éprouve aucune sensation désagréable au niveau du cuir chevelu grâce à l’anesthésie locale. 3. Un orthophoniste le soumet à des tests de langage, de vision ou de motricité correspondant aux zones cérébrales à opérer et celles à préserver. Le chirurgien retire la tumeur sous contrôle de ces tests puis rendort le patient.

Pourquoi avez-vous décidé d’utiliser une méthode d’hypnose ?

Dr Eric Fournier. Après une anesthésie générale, certains patients ont des réveils agités qui retardent le bon déroulement des tests. D’autres sont porteurs d’une maladie qui ne permet pas un réveil rapide durant l’opération. Il existe enfin des contre-indications à une anesthésie générale.

Comment est pris en charge un malade qui désire se faire opérer sous hypnose ?

Dr I.Z. Après la consultation habituelle avec le neurochirurgien, le malade est reçu par l’anesthésiste hypnothérapeute. Ce dernier soumet chaque patient à une séance d’hypnose pour voir s’il adhère vraiment à la méthode, s’il est possible de l’opérer sous hypnose ou non.

 

"Le malade peut entendre, voir et sentir mais ses sensations sont très supportables"

 

Tout le monde n’est pas réceptif à l’hypnose, quel est le pourcentage de ceux qui doivent y renoncer ?

Dr E.F. Environ un patient sur dix. C’est principalement la motivation du malade qui est essentielle pour la réussite de cette méthode où s’établit une modification de l’état de conscience que l’on peut situer entre veille et sommeil. Sous hypnose, la sensation de la douleur est fortement atténuée, voire inhibée. On ne sait pas encore par quel mécanisme mais on a pu constater par des études en IRM fonctionnelle que, lors d’une séance, certaines zones du cortex cérébral s’allument en fonction d’une suggestion spécifique. Quand elle est visuelle, la région occipitale s’active. Si la suggestion concerne une odeur, c’est la zone olfactive qui s’allume…

Décrivez-nous le protocole d’une chirurgie sous hypnose ?

Dr E.F. 1. Au bloc opératoire, le malade est mis en état d’hypnose. 2. Le chirurgien pratique une anesthésie locale au niveau du site à opérer, puis ouvre le crâne. Le malade peut entendre, voir et sentir mais ses sensations sont très supportables. 3. On sort le patient de l’hypnose pour le soumettre aux tests qui vont guider les gestes du chirurgien en respectant les zones à préserver. L’esprit beaucoup plus clair que s’il sortait d’une anesthésie générale, il répond aux tests de façon plus fiable et plus rapide. On le rendort pour la fermeture du crâne.

Quels résultats avez-vous obtenus avec cette chirurgie sous hypnose ?

Dr I.Z. Chez les 37 patients opérés, il n’y a eu aucune complication supplémentaire par rapport à la technique conventionnelle. Nous avons mesuré l’intensité du stress par des questionnaires. Cette intervention de “chirurgie éveillée” sous hypnose n’en avait pas déclenché. La plupart des patients ont déclaré qu’ils choisiraient ce protocole confortable s’ils devaient être opérés de nouveau.

Dans quelle revue scientifique vos résultats ont-ils été publiés ?

Dr I.Z.Nos travaux, publiés dans “Neurosurgery”, la revue officielle américaine de neurochirurgie, constituent une première mondiale. 

Dr Ilyess Zemmoura, neurochirurgien au CHU de Tours et Inserm U930 imagerie et cerveau.
Dr Eric Fournier, anesthésiste hypnothérapeute au CHU de Tours.

 

Paris Match |

Sabine de La Brosse